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Robert Motherwell par Sam Cornish
«À ce stade du processus créatif, le purement esthétique – qui est l’expression de la sensualité du monde –
cesse d’être le but ultime de l’œuvre. À la place, il se transforme en medium et devient un moyen d’entrer dans
l’infini du ressenti pour le condenser en un objet de perception. »
Robert Motherwell,
Au-delà de l’esthétique
(1)
Écrit en 1946, cinq ans seulement après la décision de Robert Motherwell de se consacrer à la peinture, son
Au-delà de l’esthétique
pose des concepts qui resteront au cœur de son art jusqu’à sa mort quarante-cinq
ans plus tard. Bien qu’il fût une figure clef de la progression de l’art abstrait, Motherwell affirmait dans ce texte
que l’abstrait était un «moyen» et non une «fin», une façon de réorganiser et d’«accentuer » les «schémas»
ou «structures» de la réalité, au sein desquels chacun occupe une place différente. Selon Motherwell, les
«structures picturales» créées par Cézanne traduisaient le ressenti particulier de l’artiste. Il poursuivait de
manière poignante : «Si toutes ses structures picturales venaient à disparaître, un sens particulier des choses
disparaîtrait aussi. » Entre le léger air de fragilité qui émane de cette remarque et l’affirmation faite ailleurs
selon laquelle l’abstraction «vivifie(rait) la vie», il y a beaucoup à dire sur l’art de Motherwell : empreint
par moments de violence et de grandeur, laissant affleurer la tendresse et la sincérité, avec une élégance
circonscrite par l’authenticité et fortifiée, et la conscience de son caractère éphémère.
(2)
Robert Motherwell était le plus jeune des artistes qui, au cours des années 1940 et 1950, formèrent un
mouvement informel que l’on nomme aujourd’hui l’expressionnisme abstrait. Né en 1915, Motherwell grandit
en Californie et étudia la philosophie à Stanford et à Harvard. Doué d’une conscience historique et d’une
faculté d’expression exceptionnelle, il était considéré par beaucoup comme le porte-parole officieux de
l’expressionnisme abstrait, et il fut le premier à baptiser cette tendance l’
école de New York
.
(3)
En dépit de l’exploitation ultérieure de ses idées par la propagande, il serait faux d’associer de trop près Robert
Motherwell à ceux qui, dans le sillage de la Seconde Guerre mondiale, affirmaient avec chauvinisme que la
capitale de la culture mondiale s’était déplacée de Paris à New York. Motherwell était fondamentalement un
internationaliste et un individualiste, un homme pour qui l’art moderne progressait grâce à «une collaboration
silencieuse entre une vingtaine d’ateliers de New York, Rome et Tokyo». De tous ses pairs, il était le plus
dévoué à la cause de l’art et de la culture de l’Europe en général et de la France en particulier. Bien que
reconnaissant la spécificité américaine de « l’ampleur, de l’énergie et de l’audace absolue des couches les plus
profondes de l’expressionnisme abstrait », il n’oublia jamais que l’art moderne avait fleuri dans le Paris de la