fin du XIX
e
siècle. Robert Motherwell, qui étudiait le modernisme au moins autant qu’il le pratiquait, voyait la
promesse de l’« inconnu» dans la poésie symboliste de Rimbaud, de Baudelaire et de Mallarmé comme une
source constante de réconfort, tandis que son héros en peinture était indubitablement Matisse.
(4)
C’est en 1935 à Paris, durant un tour d’Europe avec son père, que Motherwell tomba sur un exemplaire
de l’
Ulysse
de James Joyce, qui devint un compagnon de tous les instants. Motherwell prit pension dans une
famille de Saint-Germain-des-Prés et passa l’année universitaire 1938-1939 à Paris pour y étudier. Il tint sa
première exposition personnelle rive gauche, dans la galerie dirigée par son compatriote californien Raymond
Duncan. Plus tard, il attribuera en partie son intérêt pour la technique du collage, qu’il considérait comme
« l’équivalent moderne de la nature morte», aux après-midi passées dans un café parisien à voir Picasso, son
inventeur, modifier de façon compulsive la disposition des objets devant lui.
(5)
Ces premiers voyages en Europe rendirent Motherwell particulièrement ouvert à l’introduction de la culture
européenne aux États-Unis. La présence sur le sol américain de collections telles que celle du Museum of
Modern Art signifiait qu’il y avait, comme il l’écrirait plus tard, «davantage d’art moderne de qualité exposé à
New York en 1940 que dans tous les autres pays réunis». Les relations qu’il noua avec les artistes émigrés, en
particulier les surréalistes qui, au cours des années trente et quarante, fuyaient une Europe persécutée, puis
une Europe en guerre, lui étaient plus vitales encore.
(6)
Motherwell avait fait la connaissance de nombreux émigrés européens par l’intermédiaire de l’historien d’art
Meyer Schapiro avant de se lier aux jeunes Américains que l’on appellerait plus tard les expressionnistes
abstraits. Il déambula dans les petites rues et marchés aux puces de New York en compagnie d’André Breton
avec l’espoir d’y dénicher des
objets trouvailles
comme ceux que Breton avait trouvés aux puces de Saint-Ouen,
joua aux échecs avec Max Ernst et réalisa des gravures aux côtés d’André Masson et d’Yves Tanguy au
nouvel Atelier 17, que le graveur anglais William Stanley Hayter avait transféré de Montparnasse à New York
au début de la guerre. Ses liens avec les surréalistes relativement mineurs Roberto Matta et Wolfgang Paalen
– qui, en 1941, lui donnèrent des leçons contrastées de surréalisme automatique – comptaient par-dessus tout.
L’automatisme, la sensation de risque et de spontanéité qui y était associée, la promesse d’un voyage à la fois
vers l’inconnu et au plus profond de soi allaient imprégner toute l’œuvre de Motherwell.
C’est dans la
Lyric Suite
que l’on trouve son exploration la plus poussée de l’automatisme. Ces œuvres sur
papier furent exécutées en avril et mai 1965, en partie pour conjurer le sentiment de culpabilité engendré
par la préparation d’une rétrospective au MoMA à l’automne suivant. Un jour, alors qu’il faisait l’acquisition
inopinée de mille feuilles de papier de riz japonais, il eut l’intuition qu’elles pourraient l’aider à surmonter son
problème. Il expliqua plus tard : «Dessinez sur vos mille feuilles sans interruption, sans
a priori
ni
a posteriori
,